Le nouveau défi des recruteurs : la guerre des talents à l’heure de l’intelligence artificielle (IA) C’est 1,5 million de postes très qualifiés qu’il va falloir pourvoir d’ici 2030 en France, soit 175 milliards d’euros de gain pour l’économie de l’Hexagone, d’après une étude du cabinet de recrutement américain Korn Ferry de 2018[1]. Confrontée à une pénurie de compétence, une crise de talents se profile. Pour répondre à ce défi, une bonne utilisation de l’IA dans le processus de recrutement pourrait faire la différence. Définie comme un ensemble de techniques permettant à une machine d’imiter notre intelligence, l’IA continue de révolutionner plusieurs domaines dont celui du recrutement. Tout en suscitant peurs et controverses, l’IA alimente tous les fantasmes. Les ressources humaines sont, par définition, centrées sur l’humain et son articulation avec l’IA dans le processus de recrutement mérite d’être mûrement réfléchie. C’est à cette conclusion qu’est arrivée Natalia Noguera[i], responsable de la transformation digitale chez L’Oréal, à la suite de l’échec de la mise en place de Véra, une DRH virtuelle : « le digital comme un outil qui va amplifier les capacités humaines de nos RH, surtout pas les remplacer. C’est un sujet qui nécessite beaucoup de précautionʺ. Tout en se gardant de nourrir des illusions technologiques, c’est bien pour l’attraction des talents que doit être exploitée l’IA. Loin de se substituer à l’humain mais associée à lui, elle contribuera à aider les entreprises à développer une stratégie intelligente et efficace de recrutement tout en construisant un pool de talents. Entre mythe et progrès, la réalité de l’IA Les nouveaux outils foisonnent, l’engouement déborde ! Si certains arguent que l’IA est l’acteur incontournable du recrutement et chantent ses louanges, sans conteste d’autres restent plus circonspects quant au rôle à lui donner. Il faut dire qu’il revêt de nombreuses formes ; allant de la rédaction d’offres d’emploi à la messagerie (par exemple, les chatbots) en passant par le sourcing RH et le filtrage. Au-delà de la simple recherche traditionnelle de mots clés dans le CV, on peut confier l’analyse des candidatures à un algorithme mais aussi faire passer des entretiens préliminaires par un robot pour s’assurer de la pertinence de la candidature ; de l’analyse de formulaires type où on va pouvoir étudier la sémantique aux entretiens par vidéo où on étudie le faciès et les réactions, sans négliger les chatbots. L’IA couplé au Big data fait la différence. Apparaissant parfois comme d’autres moyens de recruter, ils deviennent une innovation technologique lorsqu’aux nouveaux procédés s’allient la collecte de données avec la possibilité d’améliorer continuellement le processus. Car ce sont les données compilées, partagées, enregistrées, échangées, transformées et analysées qui sont exploitées et vont faire que la candidature va être sélectionnée, écartée, re-routée, mais dans tous les cas, être répertoriées pour constituer un vivier de talent si cher au recruteur. Qualité avancée de ces nouveaux outils : ils limitent les biais cognitifs et favorisent la diversité (âge, milieu, profil, parcours…). Or l’apprentissage automatique a ses limites. Il reste soumis à l’homme. La désillusion de l’IA. La reproduction des biais humains est une réalité comme l’atteste l’expérience avortée d’Amazon[i] pour automatiser une partie de son processus d’embauche. Se basant sur les CV des 10 dernières années dans le secteur des technologies, le logiciel en a déduit que les candidats masculins étaient préférables et notaient ainsi de manière sexiste les candidats, excluant les femmes pour des postes de développeur notamment. Le système reproduisant inexorablement les biais humains, ils ne pouvaient garantir que les autres moyens utilisés ne seraient pas tout autant discriminatoires et ont décidé à terme de dissoudre l’équipe projet. Si l’homme est sujet aux biais, il peut en transmettre à l’IA, car c’est lui qui l’a créée ; biais de pensée, de codage, de données… Le recrutement par vidéo[ii] est lui aussi soumis à caution, que ce soit lorsque l’interprétation repose sur l’analyse du contenu lexical, la tonalité de la voix ou des micro-expressions faciales. Quelle confiance notamment accordée à l’analyse des expressions faciales lorsqu’on sait qu’un algorithme a besoin de 10 à 15 millions d’images pour parvenir à différencier un chat d’un chien, quand 3 images suffisent à un enfant de 3 ans ? Quant à la nouvelle vague des logiciels dits de « recrutement prédictif » qui seraient capables d’établir un pronostic sur les chances d’un candidat à un éventuel poste grâce à l’analyse de leurs qualités humaines en plus de leur compétence, le scepticisme est encore en vigueur. La base de données doit être suffisamment large et il faut donc avoir trouvé les profils en amont, les avoir classés, avec tous les biais que cela comporte. Surtout qu’outre la motivation, la personnalité, l’adéquation avec la culture d’entreprise, ce sont, pour certains postes, les compétences techniques qui priment. Tous s’accordent cependant que l’intervention de l’IA donne et donnera une place plus grande à l’humain, débarrassant le recruteur de tâches chronophages et fastidieuses lui laissant ainsi plus de temps pour se consacrer à sa relation avec le candidat et au cœur du métier : la recherche de talents, la chasse, pour répondre le plus pertinemment possible aux besoins de l’entreprise. La montée des compétences du recruteur grâce à l’IA Savoir exploiter son pool de talent. Qu’ils en soient à leur balbutiement ou qu’ils aient déjà fait leur preuve, ces outils poursuivent le même but et c’est se leurrer que de croire que le recruteur n’aura plus qu’à piocher dans son riche vivier. Si tant est que ces outils soient bien exploités, disposer de son pool ne suffit plus, il faut savoir l’exploiter au mieux de son potentiel pour dénicher LA perle qui répondra non seulement aux besoins de l’entreprise maintenant mais aussi plus tard. Identifier le profil qui à la fois correspondra à la culture d’entreprise mais qui aussi saura être en mesure de se former pour les enjeux futurs. Si certains parlent de moutons à 5 pattes d’autres vont jusqu’à parler de licorne, or ni l’un ni l’autre existe. Toutefois c’est bien parce que ces spécimens sont rares que l’enjeu est de taille ! Redonner toute sa valeur stratégique au recruteur. Cela nécessite avant tout une lecture fine du candidat potentiel parfois nommé candidate personae. L’entreprise ne recherche plus forcément un candidat pour un poste précis mais un ensemble de profils pour une variété de postes. Postes qui peuvent être définis avec le recruteur qui peut alors jouer son rôle d’expert par une connaissance accrue de l’environnement concurrentiel, des niveaux de rémunération ou encore de l’évolution des différents bassins d’emploi. Il bénéficie de plus de temps pour enrichir et personnaliser non seulement sa relation avec les candidats mais également pour comprendre et analyser une stratégie globale de recrutement de l’entreprise sur le long terme.L Le talent trouvé, il va falloir l’attirer. En effet la pénurie de candidats rend particulièrement sensible les enjeux d’attractivité et de fidélisation. Il s’agit donc d’innover dans l’approche candidat pour repérer les profils très convoités et parfois invisibles. Il faut bien entendu communiquer avec les meilleurs talents sans se limiter à ceux qui sont en recherche active. La vaste majorité des professionnels sont des candidats passifs 1 recrutement sur 3 est issu de la chasse aux candidats passifs[i]. Il convient donc de de chasserbeaucoup plus les profils en veille sur les réseaux sociaux notamment et de se distinguer par une approche très personnalisée. Les candidats en veille seront plus sensibles à la culture d’entreprise ou encore aux conditions de travail et la mise en avant de ces avantages de façon adaptée pourra se faire déterminante. C’est ainsi qu’après l’investissement dans les outils de recherche de candidats, les responsables de l’acquisition de talents placent la marque employeur en deuxième position des domaines où ils pourraient investir davantage. « La marque employeur, un élément clé pour attirer les candidats, notamment si elle est centrée sur la culture d’entreprise et l’évolution de carrière » d’après le rapport LinkedIn sur les tendances du recrutement en France en 2017. Il s’avèrerait que booster la marque employeur soit devenu une condition sine qua none pour une stratégie à long terme de l’acquisition de talents comme le relève 69% des spécialistes[ii]. Un autre impératif identifié dans un marché en pleine effervescence modifié par l’utilisation des IA, un défi de plus pour le recruteur ! [ [1] Rapport Korn Ferry 2018 The Global Talent Crunch [2] https://www.exclusiverh.com/articles/test-recrutement/l-oreal-limoge-son-robot-drh.htm [3] https://www.lopinion.fr/edition/economie/recrutement-amazon-ecarte-l-intelligence-artificielle-qui-ecarte-165106 [4] https://usbeketrica.com/article/l-ia-appliquee-au-recrutement-une-illusion-technologique [5] Chasse aux candidats passifs, recrutement social et mobile,Big Data : TENDANCES RH À L’HORIZON 2016 ÉTUDE MONSTER/IFOP [6] Rapport Linkedin Talent Solutions : LES TENDANCES DU RECRUTEMENT EN FRANCE EN 2017